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KARIM LANDAIS

27 Septembre 2013 , Rédigé par kuhing

 

Plus de 8 ans que Karim Landais nous a quitté 

 

 

 

karim-landais.jpg

 

Un de ses textes ( avril 2005 ) :

 

L’offensive de l’Islam politique

Notre camarade et ami Karim Landais a choisi de mettre fin à ses jours le 25 juin dernier. Parmi ses archives, cet article qu’il avait écrit pour un débat public de Solidarité Irak à Lyon. La revue Ni patrie, ni frontières, dont il était un collaborateur régulier, lui a consacré [un hommage]

L’Islam politique, en Irak, a une chance. Car même si l’immense majorité des Irakiens a pu voir d’un bon œil le renversement de Saddam Hussein par les Américains, cette même majorité les identifie, à juste titre, à une puissance occupante. Dès la chute du régime baasiste, les islamistes ont trouvé des appuis dans les marges de la société irakienne et chez des exilés réfugiés dans des pays limitrophes comme l’Iran et l’Arabie saoudite. Ils ont également reçu le renfort de volontaires islamistes originaires de différents pays. L’Islam politique, c’est-à-dire le mouvement qui veut imposer les mœurs et les lois islamiques à l’ensemble de la société, a rapidement prétendu incarner la « Résistance » en Irak, et il bénéficie souvent de cette aura de libérateur. Toutefois, à en croire Amjad Al-Jawhari (Union des conseils ouvriers etc.), qui considère les USA et l’Islam politique comme deux pôles terroristes, « les Irakiens se posent de plus en plus la question de savoir si cette guerre est dirigée contre les États-Unis ou contre le peuple ». Mais qu’en est-il réellement de l’assise de l’Islam en Irak ?

En installant le parti Baas (Renaissance) au pouvoir en Irak dans les années 70, Saddam Hussein impose un régime chauvin et militariste, se revendiquant de la modernité et de la laïcité, ce qui explique beaucoup, alors, sa forte popularité auprès d’un Occident déboussolé par la prise du pouvoir par les islamistes chiites, en Iran. Saddam, musulman sunnite, joue ensuite à fond cette carte du "rempart contre le fondamentalisme" chiite, plaçant sous surveillance les lieux saints chiites de Najaf et Kerbala, etc. La meurtrière guerre de 8 ans contre l’Iran, qui contribuera à renforcer l’autoritarisme des deux régimes qui se consolideront dans leur affrontement, est justifiée par les mêmes motifs. Jusqu’à ce que la guerre du Golfe l’amène à rechercher le soutien des bourgeoisies et des cléricaux du monde arabe. D’où les constructions de mosquées, les privilèges accordés aux imams, des mesures comme la fermeture de toutes les boîtes de nuit en 2001.

Les chiites, ou ceux qu’on suppose chiites, représentent plus de la moitié de la population irakienne et sont principalement établis dans le sud du pays. Ils forment aujourd’hui une communauté disparate, dont les élites sont assez désireuses d’affirmer leur poids politique après des années d’oppression et de discrimination par le régime sunnite de Saddam Hussein. De plus, l’Irak occupe une place considérable dans le chiisme. Les événements fondateurs de cette branche de la foi musulmane s’y sont déroulés et six des 12 imams vénérés par le chiisme y sont enterrés. Les chiites ont constitué dans les années 1950 le gros des troupes du parti Baas et du parti communiste irakien, avant d’en être progressivement éloignés dans les années 1970, après la montée en puissance du clan sunnite de Saddam Hussein. Son arrivée au pouvoir s’est traduite par l’interdiction de certaines fêtes religieuses, dont l’Achoura, et une répression sanglante des leaders religieux chiites.

Les sunnites entendent représenter l’orthodoxie face au chiisme. Ils se conforment à la sunna ("Tradition du Prophète") et obéissent au pouvoir en place, même non religieux. Un courant très puriste du sunnisme est le wahhabisme, actuellement doctrine d’Etat en Arabie saoudite. Majoritaires dans l’islam, ils sont minoritaires dans la population irakienne (entre 20 et 25%). Sous le régime de Saddam Hussein, les sunnites bénéficiaient de sa protection et occupaient la majorité des postes du pouvoir, formant l’essentiel des cadres supérieurs de l’armée, de la police et du parti Baas. Cette communauté s’estime marginalisée depuis l’invasion américaine de l’Irak en mars 2003. Relégués au second plan au profit des chiites et des Kurdes, modérés et radicaux ont refusé dans leur majorité les élections du 30 janvier. Le Parti Islamique Irakien, principal parti sunnite, s’est retiré des élections en décembre 2004.

Si l’on en croit certains commentateurs, comme l’AWL (Alliance for worker’s liberty), la reproduction en Irak d’un scenario à l’iranienne paraît difficile. Certes, dit-elle, comme en Iran, la mosquée est un espace d’organisation autonome et essentiel, et l’Islam sait formuler toutes sortes de programmes politiques dans un langage immédiatement compréhensible. Mais le mouvement chiite irakien est aujourd’hui divisé. Téhéran, dont la tendance est d’établir de bonnes relations avec l’Occident, oblige l’ASRI, le mouvement le mieux organisé, à se montrer plus aimable avec les Etats-Unis. Si au départ l’ASRI s’est opposée aux réunions d’oppositionnels financés par les Etats-Unis et les a boycottées, elle a progressivement mis de l’eau dans son vin. L’autre groupe, qui possède une puissante implantation dans les mosquées et est dirigé par l’ayatollah Sistani, est plus modéré. Anti-iranien, il s’oppose au programme khomeiniste de domination cléricale. De plus, les chiites devraient composer avec les partis sunnites et kurdes, qui n’accepteront pas d’être tenus à l’écart. Même si l’on peut trouver une certaine corrélation entre sunnites et riches, d’un côté, chiites et pauvres de l’autre, il n’y a pas eu d’affrontements sanglants massifs inter-musulmans. Encore aujourd’hui, les exigences chiites ne semblent pas être anti-sunnites. Enfin, un islamisme qui chercherait à unir chiites et sunnites serait a) un phénomène inédit b) par définition plus modéré (pour les islamistes militants, les musulmans qui ne sont pas d’accord avec leur secte, qu’ils soient sunnites ou chiites, et même si les désaccords portent sur d’obscures questions doctrinales, sont des hérétiques et des apostats qui devraient être mis à mort).

Toutefois, tout cela ne reste que des hypothèses, qui sont aussi controversées, et on peut nourrir beaucoup d’inquiétudes au sujet des actions de toutes les fractions islamistes et également des rapports entretenus par l’Etat naissant avec l’Islam. Quelle est la stratégie des Américains vis-à-vis des islamistes ? En janvier 2004, le Conseil de gouvernement créé par eux annonçait l’abolition de la loi sur la famille et son remplacement par la Shari’a . Cela allait bien au-delà des compromis de Saddam avec les Islamistes. Les USA n’ont inclus les islamistes dans le soi-disant Conseil législatif. L’administration américaine prétend avoir apporté la libération aux femmes, par exemple en portant leur représentation à 25% dans les assemblées politiques. Mais, à en croire Yanar Mohamed, ces 25% ne sont pas des militantes connues, et ne parlent même pas des droits des femmes, de la laïcité, de l’égalité des sexes.

Dans certaines villes, les islamistes sont maîtres dans les rues. Ils obligent les femmes à retourner dans leurs maisons. Ils se rendent dans les universités, menacent quotidiennement les jeunes filles qui s’y rendent, imposent le voile aux femmes et ont des pratiques particulièrement inhumaines envers elles. Par exemple, un nouveau groupe appelé « Conseil des Moudjahiddines » a averti qu’il exécuterait toutes les femmes se promenant dévoilées dans les rues, même si elles sont escortées par un homme. Dans le Nord, à Mossoul, des femmes chrétiennes sont la cible de massacres, de kidnappings et de viols. Deux femmes ont ainsi été enlevées et ont subi des viols sans interruption pendant 4 jours avant de pouvoir s’enfuir. Les femmes qui se rendent chez le coiffeur sont fréquemment agressées et parfois tondues par les Islamistes. Plus de 1000 étudiantes ont arrêté leurs études pour se protéger de la terreur. Autre exemple : durant le mois de Ramadan, Hinadi, la chanteuse d’un groupe jugé « pornographique » par les islamistes, a été assassinée. Au nom de la Résistance, les Islamistes attaquent les magasins de boissons alcoolisées, et tuent de nombreux innocents traités de « collabos ».

L’attitude de la population vis-à-vis de l’Islam politique est difficile à évaluer. Entre Ben Laden, appelant à boycotter les élections et autorisant le meurtre des participants, et Ali-Sistani, considérant comme infidèle quiconque les boycotterait, les Irakiens sont bien évidemment plus conformes au second, d’ailleurs arrivé en tête aux élections. Certains parlent même des élections comme de l’illustration d’une « défaite stratégique » du terrorisme. L’islamisme « radical » n’est en effet peut-être pas, au-delà de son aspect spectaculaire et bien sûr meurtrier, l’ennemi le plus dangereux. En réalité, l’islam politique est en Irak, principalement, une puissante force de collaboration avec l’occupation américaine. Al-Sadr, que certains ont encensé comme un grand résistant, ne s’oppose à la légalité américaine que dans la mesure, et dans les circonstances où cela l’arrange et lui permet d’avancer. Les médias se focalisent sur l’islamisme « radical », mais congratule l’islamisme pro-US, comme un journaliste du Courrier International, qui pense que Ali Al-Sistani mérite le prix Nobel de la Paix ! En réalité, Sistani ou Ben Laden sont tout aussi réactionnaires l’un que l’autre, leurs programmes politiques sont quelque peu différent, et leurs stratégies également, mais ils sont en tout cas tous deux des ennemis des femmes et des travailleurs.

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